CVD en Europe : le nouveau cadre réglementaire pour la divulgation coordonnée des vulnérabilités

CVD en Europe : le nouveau cadre réglementaire pour la divulgation coordonnée des vulnérabilités

À l’ère du tout numérique, les failles de sécurité logicielle représentent une menace croissante pour les entreprises, les institutions publiques et les citoyens. Face à ce constat, l’Union européenne a décidé de poser un cadre réglementaire clair autour d’un sujet clé de la cybersécurité : la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD).

Dans cet article, nous explorons ce qu’est la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD), comment elle est encadrée en Europe, pourquoi elle est indispensable, et comment les organisations peuvent s’y préparer.

Qu’est-ce que la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) ? 

La divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) repose sur une logique de collaboration volontaire et organisée entre les personnes ou entités découvrant des failles de sécurité, et celles qui sont responsables des systèmes concernés. Ce processus vise à éviter une exposition prématurée des vulnérabilités, ce qui réduirait le temps entre la découverte de la faille et son exploitation potentielle (appelé "window of exposure").

Un chercheur en sécurité – qu’il s’agisse d’un professionnel, d’un membre d’une communauté de bug bounty, ou même d’un utilisateur avancé – peut découvrir une faille critique dans une application, un logiciel ou une infrastructure numérique. Plutôt que de la divulguer publiquement ou de la vendre sur des marchés noirs, il choisit de la transmettre en privé et de façon sécurisée à l’éditeur du produit ou à l’opérateur du système vulnérable.

La finalité principale est que cette faille soit corrigée avant d’être rendue publique, afin d’éviter que des cybercriminels, des groupes étatiques ou des hacktivistes malveillants n’en profitent pour lancer des attaques (comme du vol de données, du ransomware, ou des prises de contrôle de systèmes). Cela implique une gestion responsable du calendrier de divulgation, souvent appelée "responsible disclosure", où la publication intervient après la mise en place du correctif ou à une date convenue d’un commun accord entre les parties.

Ce modèle permet également de :

  • Préserver la réputation des entreprises en leur laissant le temps de corriger la faille.

  • Reconnaître la contribution des chercheurs en sécurité.

  • Éviter les poursuites juridiques en clarifiant le cadre d’intervention.

Pourquoi un cadre européen était nécessaire ? 

Jusqu’à récemment, la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) reposait largement sur des pratiques volontaires et des codes de conduite. Cependant, l’absence de cadre juridique clair entraînait de nombreuses incertitudes :

  • Risques juridiques pour les chercheurs en cybersécurité.

  • Manque de coopération entre les parties concernées.

  • Difficulté à prioriser et corriger les vulnérabilités efficacement.

La Commission européenne a donc intégré la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) dans le cadre plus large de la directive NIS2, adoptée en janvier 2023.

Ce que prévoit la réglementation européenne (Directive NIS2) 

La directive NIS2 – successeur de la directive NIS de 2016 – vise à renforcer le niveau de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union européenne. Elle introduit des obligations spécifiques concernant la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD),, notamment :

Les grandes lignes

  • Obligation pour les États membres de mettre en place un cadre national de divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD).
  • Encouragement à l'adoption de politiques de divulgation par les entités essentielles et importantes (infrastructures critiques, administrations, fournisseurs de services numériques, etc.).

  • Création de points de contact nationaux pour faciliter le dialogue entre les chercheurs et les organisations.

  • Renforcement du rôle des CSIRT (Computer Security Incident Response Teams) dans le suivi et la coordination de ces divulgations.

Objectif

Favoriser un environnement de collaboration et de confiance, plutôt que de confrontation, entre les différents acteurs de la cybersécurité.

L'impact concret pour les organisations

Avec cette réglementation, les entreprises et administrations doivent formaliser leurs processus de gestion des vulnérabilités. Cela inclut :

La mise en place d’un programme de divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD),

  • Publication d’une politique de divulgation sur leur site web.

  • Désignation d’un point de contact sécurité accessible.

  • Engagement à répondre dans des délais raisonnables.

Intégration dans la gestion des risques

  • Les vulnérabilités signalées via divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD), doivent être intégrées dans le processus de gestion des incidents.

  • Les correctifs doivent être déployés rapidement, notamment pour les vulnérabilités critiques.

Le rôle central des chercheurs en cybersécurité

La réussite la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD), repose sur la collaboration entre les entités exposées et les chercheurs – qu’ils soient professionnels, indépendants ou membres de communautés comme Bugcrowd, YesWeHack ou HackerOne.

La directive NIS2 reconnaît leur rôle comme des partenaires de la sécurité numérique, à condition que leurs démarches soient éthiques et transparentes.

Certains États, comme les Pays-Bas ou la Belgique, ont déjà mis en place des chartes de bonne conduite et des cadres de non-poursuite pour les chercheurs agissant de bonne foi.

Vers une culture de la sécurité collaborative 

La mise en place d’un cadre européen pour la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD), marque un changement de paradigme. Il ne s’agit plus de pointer du doigt les failles, mais de construire ensemble un environnement numérique plus sûr.

Cette évolution repose sur

  • La transparence : reconnaître qu’aucun système n’est infaillible.

  • La coopération : créer des passerelles entre les experts et les institutions.

  • La responsabilité partagée : chacun, à son niveau, contribue à la sécurité collective.

Le cadre juridique de la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) en France

Depuis 2016, la France s’est dotée d’un cadre légal spécifique pour encadrer la divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD), avec la mise en œuvre de l’article 47 de la Loi pour une République numérique, désormais intégré dans le Code de la défense sous l’article L2321-4.

Un « safe harbour » légal pour les chercheurs en sécurité

Ce texte crée une dérogation légale explicite au droit pénal français, permettant aux chercheurs agissant de bonne foi de signaler des failles de sécurité sans risquer de poursuites judiciaires, à condition que deux critères stricts soient remplis :

  • Bonne foi du chercheur : Il doit agir en ayant conscience qu’il agit dans le cadre légal, ou ignorer raisonnablement qu’il agit en dehors du périmètre légal autorisé.

  • Signalement exclusivement à l’ANSSI : La vulnérabilité doit impérativement être signalée à l’ANSSI. Aucun autre organisme public ne peut activer cette protection légale.

Ce que permet cette protection juridique 

  • La découverte de vulnérabilités n’est pas pénalement répréhensible, même si elle constituerait normalement une infraction (ex. : accès illégal à un système).

  • L’ANSSI protège l’anonymat du chercheur ainsi que l’identité de l’entité affectée par la faille.

  • L’agence peut coordonner avec les éditeurs et soumettre les vulnérabilités à MITRE pour l’attribution de numéros CVE (Common Vulnerabilities and Exposures).

  • Des procédures encadrées sont disponibles pour permettre aux chercheurs de bénéficier de cette immunité.

Limites du dispositif 

Il est important de noter que :

  • La protection ne s’applique qu’aux signalements faits à l’ANSSI.

  • Seules certaines organisations françaises disposant d'équipes de réponse à incident (CERT ou CSIRT) peuvent être impliquées dans ce processus.

  • Une politique nationale de CVD plus complète, inspirée des normes ISO (ISO/IEC 29147 et ISO/IEC 30111), est actuellement en cours de révision par l’ANSSIpour élargir ce cadre et faciliter les bonnes pratiques à plus grande échelle.

 Conclusion : la CVD, un levier stratégique pour la cybersécurité européenne 

La divulgation coordonnée des vulnérabilités (CVD) n’est plus un luxe réservé aux grandes entreprises tech : c’est une obligation stratégique dans un contexte numérique de plus en plus exposé aux cybermenaces. La réglementation européenne vient structurer une pratique essentielle pour anticiper les attaques, protéger les données, et renforcer la confiance dans les services numériques.

Pour les organisations, il est urgent de s’emparer du sujet, de mettre en place les bons outils et d’adopter une approche ouverte et proactive. La sécurité numérique est un sport d’équipe — et la CVD en est un des piliers majeurs.

La France l’a bien compris en instaurant dès 2016 un cadre juridique clair et protecteur, notamment via l’article L2321-4 du Code de la défense. Ce dispositif crée un véritable « safe harbour » légal pour les chercheurs en sécurité, encourageant ainsi un dialogue sécurisé, responsable et encadré avec les institutions publiques comme l’ANSSI. Cette approche législative renforce l’écosystème global de la cybersécurité tout en favorisant une culture de transparence et de coopération.

Adopter la CVD, c’est donc non seulement se conformer à la réglementation, mais aussi bâtir un numérique plus résilient, plus éthique et plus sûr.